L’IMPLANTATION, PREMIER GAGE DE LA RÉUSSITE
Le choix d’introduire la luzerne, à destination de la déshydratation, dans l’assolement était à l’origine motivé par ses qualités de tête d’assolement et par un souci d’amélioration de la structure du sol. Aujourd’hui, elle est également reconnue pour la présence d’un couvert végétal permanent et pour ses capacités à capter les nitrates se trouvant dans son profil racinaire. Elle permet également la résorption d’effluents azotés liquides issus de l’agro-industrie ou de l’élevage. Sa conduite nécessite très peu de produits de protection des plantes.
À son retournement, par une dégradation lente et régulière de ses résidus, elle fournit sur 18 mois de l’azote organique aux cultures suivantes et enrichit le sol en matière organique.
La luzerne est une plante qui exige un sol sain. Sa culture doit être implantée sur des sols dont le pH est au minimum de 6,5. Dans certaines zones de production, la luzerne est cultivée sur sols drainés. Dans les sols qui n’ont jamais reçu de luzerne ou légèrement acides, il est souhaitable d’inoculer la semence de luzerne avec Rhizobium meliloti. Soit la semence est enrobée juste avant le semis d’un support tourbeux contenant la bactérie, soit la bactérie est présente dans l’enrobage de la semence commercialisée en l’état.
La culture de la luzerne est possible sur des sols dont le pH est inférieur à 6 dès lors que l’on pratique un chaulage, que l’on inocule la semence et que le sol est sain.
La plante est capable de développer un enracinement profond pivotant. Un sol suffisamment pourvu en oxyde de potassium (K2O), en oxyde de phosphore (P2O5) et en calcium est nécessaire. Une semelle de labour s’opposera à son développement. Les besoins en eau de la plante sont estimés à 50 mm par an pour élaborer une tonne de matière sèche par hectare en Champagne-Ardenne.
En été, sur certains sols superficiels (type graveluche), il n’est pas rare de constater des dépressions dans le volume végétal aérien. Ces sols n’ont pas une réserve en eau suffisante pour assurer une bonne alimentation de la plante tout au long de la période estivale.
La luzerne est cultivée en moyenne sur 8 % de la SAU en Champagne crayeuse. Elle est généralement précédée d’un escourgeon ou bien implantée sous couvert d’une céréale de printemps. L’implantation peut aussi se faire en été derrière orge de printemps ou blé. Les dates de semis sont alors plus tardives et limitent les possibilités de développement de la plante avant l’hiver, ce qui pourra être préjudiciable à sa pérennité.
Il n’y a pas de période d’interculture.
L’œillette est un précédent proscrit pour la luzerne. Exploitée sur deux ou trois années, la luzerne est systématiquement suivie d’un blé aussitôt son retournement. Il n’y a pas de période d’interculture. Pour limiter certaines attaques parasitaires (nématodes, rhizoctone…), il est souhaitable de laisser au moins 6 à 8 ans entre deux cultures de luzerne dans une même parcelle.
La luzerne dispose d’un enracinement pivotant très puissant. Il peut descendre profondément dans le sol (jusque 2 m), ce qui lui permet de résister à la sécheresse. Son volume racinaire évolue dans le temps en fonction des coupes ; les pivots mettent 18 mois à se dégrader dans le sol après retournement et après minéralisation enrichissement le sol de 2 t de carbonne (mesure réalisée après luzerne exploitée 2 années). Ces caractéristiques concourent à maintenir ou recréer une excellente structure de sol pour les cultures qui suivent et font de la luzerne une excellente tête d’assolement.
La productivité d’une luzernière lors de la première coupe est conditionnée par l’état de développement du système racinaire à l’entrée de l’hiver. L’INRA a montré que la date de redémarrage et la vitesse de croissance d’une plante au premier cycle de production sont liées à la teneur de certaines protéines contenues dans les pivots (2). Or, une durée de croissance suffisante avant l’hiver est nécessaire à l’élaboration de ces protéines. D’où l’importance de réussir la phase d’implantation par un bon choix de technique et de date de semis.
Printemps ou été il faut choisir la bonne période
L’été et le printemps sont les deux époques retenues traditionnellement pour l’implantation des luzernes (3). Les conditions d’humidité et de températures différentes à ces époques nécessitent le respect de bonnes conditions de semis.
Préférer des semis précoces
Début juillet en Champagne, les semis précocent bénéficient des meilleures chances de réussite avec la présence d’une relative humidité derrière un escourgeon. Les jeunes semis bénéficieront d’une durée maximum de développement avant l’hiver. Ces conditions assurent une production satisfaisante dès la première coupe l’année suivante. Le retard dans le semis entraine systématiquement des pertes de potentiel en première année de production.
Les semis plus tardifs , début août, seront plus souvent confrontés à des périodes de sécheresse lors de la germination et le système racinaire aura rarement l’occasion avant l’hiver de se développer suffisamment. Les jeunes plantes seront plus facilement sensibles au gel et au phénomène de déchaussement hivernal dans les sols crayeux.
Attention, l’usage de certaines sulfonylurées au printemps sur céréales précédent la luzerne, cumulé à une sécheresse printanière et à l’absence de labour peut bloquer le développement de jeunes semis de luzerne. Il convient donc de suivre les recommandations du fabricant et de prendre les précautions nécessaires pour éviter ce type d’accident.
Semis de printemps : sous couverts ou sur sols nus
Le choix du semis sous couvert est guidé par des contraintes d’assolement (absence d’escourgeon sur l’exploitation) ou pour éviter les risques d’implantation d’été dans des conditions de sécheresse. Il est cependant difficile de mener techniquement deux cultures ensemble. Une des deux cultures est en effet pénalisée par la présence de l’autre. De plus, il n’existe pas de moyens de désherber chimiquement l’association graminée-luzerne sauf à semer la luzerne une fois la céréale désherbée avec un produit sélectif de la luzerne.
Suivant le mode d’implantation, l’agriculteur doit gérer au mieux deux postes clés que sont : – le devenir des résidus du précédent, – le travail du sol.
Éliminer les résidus
Dans le cadre des semis d’été, les pailles connaissent deux destinées : le broyage ou l’enlèvement.
Le broyage et l’enfouissement aussitôt après la récolte se pratiquent dans 70% (1) des cas. Un enfouissement rapide et de qualité ressort régulièrement dans les enquêtes comme étant la meilleure technique en terme de productivité la première année d’exploitation.
L’enlèvement des pailles génère régulièrement un retard dans les interventions culturales. Les parcelles où les pailles sont enlevées, sont souvent semées en dernier, ayant pour conséquence une perte de l’ordre de 600 kg (1) de MS/ha en première année de production par rapport à celles où les pailles sont enfouies. Pour les semis sous couvert de printemps, rappelons que l’enlèvement des pailles est une priorité aussitôt la récolte pour permettre à la luzerne de poursuivre sa croissance et éviter que les parasites ne trouvent un abri dans les andins.
Travail du sol : soigner la structure
Les semis de printemps s’effectuent sur un sol ressuyé. Il faut rechercher un resserrement et un émiettement suffisant du lit de semence en évitant les sols creux ou les semelles de labour. Les semis d’été nécessitent, dans tous les cas, la préservation de l’humidité du sol.
Actuellement, en région Champagne-Ardenne, les semis de luzerne sont réalisés derrière labour pour 49 %, en semis simplifié pour 40 % et en semis direct pour 11 %.
Les rendements en première année de production sont de 12.74 t de MS /Ha avec labour, 12.53 t de MS /Ha avec semis simplifié et 12.47 t de MS /ha avec semis direct (1). Labour, semis simplifié, semis direct… le choix de l’itinéraire a des conséquences sur l’implantation de la luzerne, sur l’apparition d’adventices, sur le rendement, ainsi que sur les populations de campagnols.
Les conditions de réussite d’un bon semis d’été sont :
– un semis précoce (avant le 20 juillet)
– un précédent laissant une certaine humidité du sol (escourgeon, orge d’hiver)
– une bonne gestion des pailles qui ne doivent pas constituer un obstacle à l’émergence des plantules tout en préservant une bonne structure.
Toutes choses égales par ailleurs, il est alors possible de comparer différents itinéraires de préparation et de semis de la luzerne. 4 itinéraires sont présentés ci-dessous.
Itinéraire 1 | Itinéraire 2 | Itinéraire 3 | Itinéraire 3 Bis |
Labour –herse croskill, Croskillette-croskill poussé Vibroculteur semoir associés OU Labour-croskill poussé, Herse rotative Rouleaux adaptés, Semoir. | Déchaumage, roulage-croskill poussé, herse rotative rouleaux adaptés, semoir, OU Déchaumage, roulage, semoir rapide. | Semis direct disque ouvreur. | Semis direct soc ouvreur. |
Chaque itinéraire est classé selon ses effets sur l’enherbement, le parasitisme, la structure du sol et son coût économique (cf. tableau de synthèse).
Les conséquences positives pour la culture (+ à +++ dans le tableau) ou négatives (- à — dans le tableau) peuvent varier sensiblement en fonction des pratiques de chacun. Le renouvellement des semoirs avec des écartements entre lignes de semis plus réduits peut faciliter la lutte contre les adventices.
Les écartements réduits à 12.5 cm (contre 17 cm avec les anciens semoirs en ligne) limitent le développement des adventices par un meilleur couvert de la luzerne et donc une concurrence accrue sur les adventices. Quel que soit l’itinéraire retenu, la réussite du semis est nécessaire.
Un semis à 25 kg
La dose pratiquée en sol nu d’été est en moyenne de 25 kg/ha, ce qui correspond à la dose conseillée (le poids de mille grains est égal à environ 2.2 g). L’augmentation de la dose de semis n’assure pas la réussite de l’implantation et les semis à 30 kg n’ont pas d’incidence sur la production. Seul le délai du semis après le travail du sol est gage de réussite.
Le semis est superficiel entre 1 cm et 2 cm maximum.
En semis sous couvert, la dose de luzerne à semer est de 25 kg. La densité de l’orge est voisine de 300 grains/m². Le semis des deux cultures le même jour serait préférable mais il se heurte à la problématique du désherbage.
Pour un semis décalé dans le temps, il faut prendre en compte le risque d’étouffement de la luzerne par l’orge et ne pas intervenir trop tard pour le semis de la luzerne.