N’A JAMAIS EU AUTANT D’AVENIR
La luzerne provient d’Asie mineure où elle a été identifiée il y a près de 10 000 ans. Elle est considérée dès cette époque comme un fourrage facile à cultiver et à stocker ce qui explique sa diffusion rapide en commençant par l’Europe méditerranéenne et l’Afrique de l’Est puis du Nord. Propagée par l’homme au fil de ses déplacements, elle permet en particulier l’alimentation des chevaux lors des conquêtes arabes. A partir du XV° siècle, la culture de la luzerne s’étend dans le monde entier. Facteur essentiel du développement et de la prospérité des élevages de ruminants, la conservation du fourrage a permis l’essor de l’élevage en sécurisant son alimentation. Aujourd’hui elle est au cœur des enjeux mondiaux d’approvisionnement en protéines des élevages notamment laitiers qui se multiplient sur toute la planète.
Aliment aux qualités multiples, la luzerne favorise le développement de l’élevage grâce à ses vertus dont témoignent ses différentes appellations.
D’abord dénommée medicago signifiant qu’elle provient de la région de Médie, traduit à l’époque romaine Herba medica et toujours appelée erba medica en italien, le terme espagnol et américain, alfalfa pourrait provenir de l’arabe où al fassa (ةصف) signifie la luzerne. C’est de cet historique que découle son nom américain : alfalfa. L’origine éthymologique du terme luzerne est plus vague, certains ont évoqué le sens brillant de l’occitan luzerno puisque les graines sont luisantes.
D’abord produite sous forme de prairie naturelle, puis cultivée de façon permanente ou temporaire, la luzerne est consommée directement au pâturage, pendant la pousse de la plante, ou fauchée et distribuée fraiche aux animaux élevés en enclos ou en cages. Son adoption en France au XVè siècle et son maintien jusqu’au milieu du XXè siècle relève au moins autant de sa valeur en tant que précédent cultural du fait des reliquats azotés (voir article sur sa physiologie pages suivantes) que de sa valeur fourragère. Pour nourrir les animaux en toutes saisons il s’est avéré nécessaire de conserver le fourrage. Jusqu’à la fin de la première moitié du XXème siècle, la seule méthode, encore la plus utilisée aujourd’hui dans le monde, était le séchage naturel au soleil. Plus tard, ensilage, enrubannage, séchage en grange (voir l’article sur les autres
méthodes de conservation page xxx) et déshydratation se sont développés.
La déshydratation est le conditionnement qui permet à la luzerne de conserver toutes les qualités du fourrage frais. La production industrielle de luzerne déshydratée démarre à partir de 1950 en France qui, en quelques années, se hisse au rang de grand opérateur qui exporte jusqu’à la moitié de sa production.
La luzerne déshydratée est au départ un fournisseur privilégié de protéines à destination surtout de l’alimentation des volailles, d’autant que les pigments qu’elle contient colorent leur peau et le jaune de leurs œufs.
Le progrès des techniques culturales (variétés, fertilisation…), de récolte, de déshydratation, de stockage (sous gaz inerte) et d’homogénéisation, améliore constamment la qualité des luzernes déshydratées et son adaptation aux besoins des diverses espèces animales. L’intérêt des éleveurs pour la luzerne déshydratée a étendu sa consommation à la plupart des espèces animales, et principalement les ruminants producteurs de lait ou de viande et les chevaux. La luzerne déshydratée accompagne ainsi l’agriculture et l’élevage dans leur démarche constante de progrès et de modernisation. Elle est utilisée en moindre quantité dans les rations des animaux monogastriques.
La luzerne trouve son plus grand développement dans les zones tempérées : Europe, Amérique du Nord, Japon, pointes sud d’Afrique et d’Amérique, Australie, zones tempérées de la Chine. Elle couvre près de 32 millions d’hectares dans le monde dont 13 millions en Amérique du Nord, là où elle est la mieux représentée. Dans cette région, les rations sont en priorité équilibrées en fourniture de protéines végétales, puis l’équilibre énergétique est ensuite assuré. Ce raisonnement donne une place majeure à la luzerne dans l’alimentation animale. De ce fait, la luzerne arrive en seconde position après le soja en importance économique aux Etats-Unis.
En Europe, la production est concentrée dans les 3 pays occidentaux méditerranéens : France, Espagne et Italie qui totalisent près de 85 % de la production. Une part conséquente de la production est séchée au soleil, sans déshydratation en usine. Elle est aussi communément cultivée dans une grande moitié sud de l’Europe centrale et en Ukraine.
Depuis de nombreuses années, la France et l’Europe sont très déficitaires en protéines végétales pour l’alimentation animale. En Europe, le déficit chronique varie selon les années entre 60 et 70 % du niveau de consommation (40% en France). L’une des raisons provient d’une diminution drastique des soutiens aux productions végétales riches en protéines depuis les années 2000. Les rations animales des élevages européens sont souvent complémentées en protéines d’abord par du tourteau de soja importé d’Amérique du Nord ou du Sud puis par des tourteaux de colza et de tournesol produits en Europe.
La France cultive à la fin des années 2010 environ 300 000 hectares de luzerne dont 64 000 hectares pour la déshydratation (chiffre 2017). Mais cette culture occupait environ 1 million d’hectares dans les années 1960.
Les atouts environnementaux de cette culture sont désormais bien établis : amélioration de la structure et de la fertilité des sols, stockage de carbone et d’azote, préservation de la qualité de l’eau, modification de la flore adventice, faibles émissions de gaz à effets de serre (N2O), hébergement de biodiversité animale. Ils devraient contribuer à donner à la luzerne la place qu’elle mérite dans les systèmes agricoles.